Sensualités

Il faisait chaud et, sur la plage le ballet des baigneurs était incessant entre le sable et l’océan. Les plus courageux couraient derrière un ballon et les mamans demandaient aux enfants de remettre leur casquette. Les corps s’offraient au soleil, aux vagues, à l’eau ruisselante; l’atmosphère était joyeuse, ludique, et le temps suspendu comme entre deux malheurs. C’était le milieu de l’été, et le bronzage des corps faisait croire aux silhouettes qui répondaient aux canons de la beauté, mais aussi à celles des maigres et des gros, des jeunes et des vieux qu’ils étaient les rois de la plage. Cette illusion se confirmait dans les sensations de bien être et de légèreté que procuraient le contact des vagues et les plongeons dans l’eau.

Sans aucunement prétendre à la comparaison, les moments d’abandon au milieu des éléments naturels, me rappellent toujours cette remarque d’A. Camus à la fin de Noces «je mordais dans le fruit … doré du monde».

A certains moments, les corps brûlent sous le soleil et le sel de la mer, et le besoin de se rafraîchir à l’eau douce imposait de grimper sur la dunette ; la bousculade et les éclaboussures autour des quatre douches étaient sympathiques et conviviales.

C’est alors que je le vis sous la douche : petit, difforme, les pieds tordus; des bruits nasillards et inaudibles sortaient de sa bouche grimaçante. Ma première pensée fut la pitié, fut de plaindre ce gnome, et l’ambiance joyeuse s’était comme éteinte dans le champ de ma vision. Je me souviens être restée sans bouger devant le corps disgracieux. Puis, une jeune femme l’aida à enfiler des sandales, et soudain, là, les deux corps se collèrent sensuellement l’un contre l’autre pour échanger un baiser extraordinaire, un baiser où se mêlaient le sel de l’océan et le goût de leur salive. Ce baiser dura un instant éternel, un instant fécond au cours duquel les apparences sont une peau qui se déchire pour laisser entrevoir le sublime tel qu’on ne l’attend pas.

Il y avait donc encore plus beau que le spectacle des corps jouissants sur la plage ; il y avait eu ce baiser, ce geste humain, tendre, éclatant, bravant les injustices naturelles et les préjugés. Et je comprenais soudain pourquoi il est si difficile de filmer un baiser au cinéma, d’en appréhender la sensualité sans tomber dans le simulacre et la platitude. La vérité du baiser a peut-être nécessairement pour écrin un défi à surmonter.

Salvatore, alias Jacques Perrin dans Cinema Paradiso (de Giuseppe Tornatore) se cale dans le fauteuil pour visionner les extraits des baisers censurés dans les films par le curé don Adelfio, extraits qu’Alfredo le projectionniste lui a légués, et comme lui, j’ai la mémoire de quelques baisers bouleversants.

J’étais redescendue sur le sable, et je me disais que la plage est le théâtre des corps dénudés où les esprits peuvent se libérer. Je pensais aussi à une anecdote que rapporte Michel Tournier pour commenter une photographie d’Edouard Boubat (Des clés et des serrures) qui représente une maman assez ronde et son enfant. On annonce sur une plage de vacances qu’il y aura dans la soirée l’élection de «miss plage» et on invite toutes celles que la nature a gâtées, à se présenter au concours. C’est alors que Michel Tournier entend un petit garçon dire à sa maman «pourquoi tu ne t’inscris pas maman?»

J’aime l’été, le soleil, la plage, l’éveil des sens, tous les moments de tendresse qui y éclosent et qui m’émerveillent quand j’ai la chance de les observer.