Syrie 2016

Je n'irai pas en Syrie.

Sur ma route du pays arabe, l'étape en Syrie était désirée et attendue. La Syrie? c'était le pays suivant, rêvé, dans ce tour de la Méditerranée que j'ai entrepris, Maroc, Algérie, Tunisie, Liban, Palestine...

Manu Berk m'a expliqué crûment, par une oeuvre découverte sur son site, pourquoi je ne pourrai pas aller en Syrie.

Crédits dessins / Manu Berk

Si Picasso a créé, inventé Guernika pour représenter le bombardement de la ville du Pays basque, Manu Berk a créé un dessin à l'encre, scientifique, implacable, décisif, pour représenter la Syrie, son démantèlement et ses horreurs. Il y conjugue divers procédés qui révèlent sa grande connaissance de l'histoire de l'art et son audace talentueuse.

Légèrement décentrée, une Pieta (qui n'est pas sans rappeler celle de Michel-Ange(*), ou celle de Samuel Aranda(**) massive, mi-mère de Jésus, mi-ogresse, apparaît froidement sur une planche d'anatomie encadrée d'un film photographique utilisé en radiologie et millimétré. On croirait l'ensemble sorti du cabinet de Diderot et d'Alembert. Puis, l'oeil se raproche et tombe indéfiniment dans l'horreur de la vision d'une mère dont on ne sait si elle pleure son enfant, si elle le dépèce pour en vendre les organes, ou les deux à la fois, d'une mère dont on aurait honte si on était son enfant mais qu'on aime quand même.. Ah! mères dévoreuses de à qui vous donnez vie, allégories vivantes du monde, de tous les pays où vous enfantez.

Les ventes d'organes, le commerce, le capitalisme, sont là frontalement exposés. Diderot recourra à l'anatomie par souci de vérité exacte pour donner une base matérialiste à l'intériorité. Le travail de Manu Berk est davantage sur le plan du symbole et de la caricature. Néanmoins il vise une vérité accusatrice, violente, et qui dénonce. Oeuvre étrange entre pure création et manifeste, entre création et caricature, entre thème et distorsion du thème, Manu Berk y parvient. Il se définit comme un contre artiste gribouillosophe apostasique. C'est à la fois modeste et ambitieux. L'art contemporain nous interpelle ici dans nos fragilités, la plus criante étant celles de penser avec nos émotions, aussi dans nos usages tel le tourisme et, de fait il nous perturbe et nous fait avancer.

(*) Michel Ange 1499

(**) Samuel Aranda 2011