Le bébé farceur

C’est après une nuit étrangement éclairée alors que la voûte du ciel ressemblait à un bol de diamants, que Bébé-farceur arriva sur la terre. En effet, toutes les étoiles qui étaient ses amies et qu’il venait de quitter, annoncèrent sa naissance. Certaines allumèrent de grands feux, d’autres brûlèrent beaucoup de gaz, enfin toutes avaient clignoté. Les planètes aussi furent de la partie en tournoyant dans le grand espace et celle qui avait pris le plus de soin pour se faire belle, était la lune. En effet, cette nuit-là elle fut exceptionnellement grosse et ronde dans une robe couleur de nacre car elle avait essayé d’être la plus lumineuse possible pour indiquer au papa et à la maman l’endroit où leur bébé ouvrirait les yeux. Puis, à l’aube le soleil s’était levé, chaud et généreux. A travers ces éblouissements, les bébés aiment bien montrer le bout de leur nez comme celui dont nous raconterons l’histoire, montra le sien. Au milieu de la journée, la vieille colombe au courant de tout ce qui se passe sur la terre, sur les planètes et dans les astres du grand espace, annonça aux parents que des rires et de la malice allaient se répandre sur le pays de Salam avec l’arrivée de ce bébé qui s’appelait : Bébé-farceur. « Ah bon ! Quel drôle de nom ! » se dirent le papa et la maman en se regardant interloqués devant le nourrisson.

C’est à ce moment-là qu’ils découvrirent sur son berceau une enveloppe déposée délicatement par la vieille colombe. Le papa et la maman un peu surpris ouvrirent l’enveloppe et lurent la lettre qui commençait ainsi :

« Salut à vous tous ! Ouf ! je suis enfin arrivé. Ça fait une éternité que je vous cherche et que j’attends ce moment avec impatience. Comment ? Vous faites la grimace et semblez dire que vous aussi vous m’attendiez depuis neuf mois ? Oh ! ne rouspétez pas car c’est moi qui ai attendu le plus. C’est vrai que je vous ai joué quelques tours pendables ! J’en ris encore ! Je me suis tellement amusé dans le ventre de ma maman mais aussi avant, quand j’étais une petite graine d’âme allant d’une étoile à l’autre et au milieu des planètes ! Maintenant que je suis ici, vous avez intérêt à être sympas avec moi sinon je recommence à vous en faire voir de toutes les couleurs ! ».

Le papa et la maman relevèrent leur tête ensemble, éclatèrent de rire, regardèrent le bébé qui dormait dans son berceau et qui fugitivement sourit à un ange invisible et connu de lui seul, puis ils replongèrent dans la lecture de la lettre qui disait :

« J’avais un peu la trouille que dans la réalité vous ne soyez pas comme je vous avais imaginés mais je ne suis pas du tout déçu même si je ne le montre pas, car je suis encore trop petit et la vieille colombe qui est une bonne messagère m’a aidé à faire cette lettre afin de vous raconter mon long voyage pour arriver jusqu’à vous.

Pendant longtemps j’ai été une petite graine d’âme qui flottait dans l’espace jusqu’au jour où certaines graines d’âme, dont la mienne, furent convoquées dans une prairie pour choisir une existence parmi toutes sortes d’existences alignées sur l’herbe comme des paquets attachés avec une ficelle. C’est mon copain Er le Pamphylien qui m’a bien expliqué ces choses. Il a de la chance ; il est le seul mortel à avoir eu le privilège d’assister à la distribution des paquets et surtout à s’en souvenir, car, une fois l’existence choisie, les graines d’âme oublient leur choix en traversant un grand fleuve qui s’appelle le Léthé. Mais lui, Er, grâce à du piston, il a eu le droit de ne pas oublier et de se balader d’un endroit à l’autre. Je l’ai rencontré dans cette prairie où j’étais un peu perdu au milieu des autres graines d’âme, et il m’a dit : « Regarde bien, la plupart des âmes vont se précipiter sur l’existence des rois, des puissants, des riches, des gourmands, de ceux qui ont beaucoup de jouets ou qui mangent plein de bonbons et il est trop tard après pour changer quand ils s’ennuient ou qu’ils ont mal au ventre ou qu’ils ont des trous dans les dents ou que personne ne les aime. Fais bien attention à ce que tu vas choisir, regarde un peu dans les paquets ! » et puis il est parti. Je me suis gratté l’âme, perplexe, j’ai regardé tous ces paquets d’existence ne sachant vraiment pas quoi faire, et j’ai repéré l’un d’eux qui proposait l’existence d’un bébé-farceur au pays de Salam. Je me suis dit « tiens, pourquoi pas ? ça doit être marrant » mais surtout ce qui m’a décidé, c’est que la maman de ce bébé-farceur était très jolie, vraiment très très très jolie, la plus jolie avec sa peau dorée, ses cheveux noirs et ses yeux aux reflets verts. Quand je serai grand je lui dirai de se présenter à des concours de beauté. J’ai aussi regardé le papa qui était dans le paquet, on ne sait jamais avec les papas ! et j’ai vu qu’il riait comme de l’eau qui coule en cascade, qu’il avait des yeux fendus, malicieux et surtout qu’il aimait jouer au ballon, et moi qui rêve de taper dans un ballon depuis que je suis une petite graine, je me suis dit « c’est bon pour ce papa ! » En plus j’ai eu le temps de voir que tous les deux aimaient bien la musique. Alors voilà j’ai pris le paquet et je suis parti, j’ai passé courageusement le Léthé et j’ai tout oublié. Heureusement que mon pote Er le Pamphylien que je voyais de temps en temps par ci par là me rafraîchissait la mémoire, en cachette, car il n’a pas le droit de révéler le secret de ce qui se passe dans la grande prairie ».

Le papa et la maman se regardèrent tout attendris, se redirent des mots gentils puis continuèrent la lecture de la lettre en tournant les feuilles :

« Tout semblait aller pour le mieux quand j’ai quitté la prairie et passé ce grand fleuve où on oublie tout, je pensais que j’allais filer tout droit vers la terre, mais il s’est trouvé que ce papa et cette maman ne semblaient pas très pressés. Ils se sont mis à faire le tour du monde dans un sens puis dans l’autre et dans tous ces tournicotis, ils se sont perdus, tournant chacun de leur côté, et moi j’étais bien embêté. « Que faire ? Où aller ? ».

Là encore c’est mon copain Er le Pamphylien qui m’a tiré d’affaire en me disant : « Va te promener toi aussi, il y a plein de gens intéressants à rencontrer sur les planètes et dans les étoiles ». Sur le moment j’ai été un peu surpris et je ne me sentais plus du tout un bébé malicieux comme je l’avais vu en regardant le paquet dans la grande prairie mais, grâce à Er, j’ai décidé de me balader et finalement je me suis bien amusé ».

Le papa et la maman furent un peu étonnés à ce moment de la lettre et ils replongèrent aussitôt dans les feuillets écrits où ils découvrirent les aventures prénatales et spatiales de leur bébé quand il n’était qu’une graine d’âme :

« Tout d’abord je suis allé voir un gars dont on parlait un peu partout sur les planètes et qu’on appelle le Petit Prince. Je me disais : « Il a de la veine celui-là avec un nom pareil ! C’est nettement plus chouette que Bébé-farceur ! » J’étais tout content en me disant qu’un prince devait avoir plein de jouets et surtout un ballon. Mais, auprès de lui, je me suis très vite ennuyé ; il vivait tout seul sur sa planète où il passait le temps à contempler des couchers de soleil magnifiques. Il n’avait pas de copain, il ne connaissait pas Er, il n’aimait pas jouer au ballon et il réfléchissait à longueur de journée en attendant que le soleil se couche dans un silence sinistre. Moi qui aime la musique, j’étais servi ! Au bout de quelques jours, je lui ai dit « merci pour le séjour et ciao » et j’ai profité de la chevelure d’une comète qui passait tout près de sa planète pour aller voir ailleurs.

Assez rapidement, pendant que je chevauchais la comète, j’ai vu au loin un vol d’oies sauvages qui faisaient un grand V dans le ciel en battant leurs grandes ailes, et, sur l’une des oies, il y avait un tout petit, tout petit garçon vraiment minuscule, encore plus petit qu’une graine d’âme. Il portait un petit bonnet rouge qu’on voyait sauter sur le dos de l’oie. J’ai crié de toutes mes forces mais il ne m’entendait pas. Heureusement que la comète allait plus vite que le vol immense et lent des oies et qu’elle les a dépassées ; alors ni une, ni deux j’ai sauté à califourchon sur une oie pour rejoindre mon nouveau copain qui s’appelait Nils et qui a hurlé de joie quand il m’a vu. Il venait du pays des neiges et avait la chance grâce aux oies de faire un grand voyage. Qu’est-ce qu’on s’est bien amusé tous les deux et avec les oies ! On faisait des courses, des piqués, des cabrioles, des glissades comme si on était sur des toboggans. Les oies faisaient tout ce qu’on voulait et ne rouspétaient jamais, même quand on tirait un peu trop sur leurs plumes. On a survolé de beaux pays et on voyait à travers les nuages des rivières, des montagnes, de la neige, des déserts, la mer. J’ai même vu le pays de Salam, tout vert avec des maisons blanches. C’était génial ! Mais un jour la chef des oies a dit qu’elles devaient rentrer au pays de Nils pour qu’il retrouve ses parents et qu’il fallait se séparer parce qu’elles ne pouvaient pas m’emmener là où elles devaient aller. Nils et moi on a été bien malheureux et on a failli pleurer ; il m’a dit qu’il ne m’oublierait jamais et qu’on se retrouverait quand je serai devenu un vrai petit garçon. Je lui ai répondu « D’accord, quand je serai chez mes parents, promis, juré, j’irai te voir dans ton pays plein de neige ». Les oies m’ont déposé sur une planète recouverte d’eau transparente et de sable blanc d’où je voyais bien la terre qui était toute bleue, le pays de Nils couvert de neige, la Pamphylie où vivait Er et le pays de Salam tout vert. Alors j’ai visité cette nouvelle planète sur laquelle vivaient deux vieux barbus, Robinson et Vendredi ; ils étaient bizarres et me faisaient un peu peur ; on aurait dit des vieux arbres rabougris et desséchés par le soleil ! Je me suis caché dans la touffe d’un palmier pour les observer, mais finalement, j’ai vu qu’ils n’étaient pas méchants et je me suis laissé apprivoiser. Ils m’ont appris à faire plein de choses : une cabane dans les bois, un radeau pour descendre la rivière, une canne pour pêcher les poissons. Mais Nils me manquait et je pensais souvent à lui en regardant le ciel dans la direction où les oies étaient parties, quand j’ai remarqué que des étoiles me faisaient des signes ; elles clignotaient et peu à peu j’ai compris leur message qui me disait « un rayon de lumière très jaune passera tout près de la planète de Robinson et Vendredi, tu monteras dessus et te laisseras transporter jusqu’à nous ».

Les parents ne prenaient plus du tout le temps de se regarder et tournaient très vite les feuilles de la lettre pendant que la vieille colombe perchée sur le toit de la maison, rigolait dans son bec :

« J’ai fait exactement tout ce que les étoiles me disaient pour arriver auprès d’elles. C’était vraiment super beau ! Les étoiles sont comme des jeunes filles avec des jolis prénoms et elles passent le temps à se faire belles, à se maquiller pour être celle qui brillera le plus ; elles rient beaucoup et avec elles je ne me suis jamais ennuyé car elles font toujours la fête, écoutent des sons qui font rêver et exécutent des danses magnifiques dans le ciel. Elles acceptaient parfois de jouer au ballon dans la journée quand elles n’avaient pas besoin de briller pour qu’on les admire ! Ça me changeait du Petit Prince et des deux vieux barbus ! Il y a même eu des jours où mes amies les étoiles s’écartaient gentiment pour me laisser approcher les anges qui étaient derrière elles. A ces moments-là, je ne bougeais plus, je me posais sur mon ballon, je regardais et j’écoutais leur musique céleste comme si elle ne devait jamais s’arrêter. Qu’est ce qu’ils étaient beaux, ces anges avec leurs ailes et leurs plumes blanches ! J’étais plein d’admiration mais hélas ! venait toujours le moment de se séparer quand les étoiles se regroupaient au cours d’un ballet et que je ne pouvais plus voir ce qu’il y avait derrière elles.

Un jour que je me baladais entre les étoiles grâce au rayon jaune, j’ai vu une étoile toute rouge où on fabriquait du feu ; je me suis approché et j’ai repéré un garçon qui jouait avec des éclairs et les envoyait très très loin pour provoquer la pluie et les orages. Il avait un beau nom, il s’appelait Ortzi. Ça me paraissait amusant de faire comme lui, et j’ai essayé de le rejoindre pour faire moi aussi des zigzags dans le ciel, mais il m’a dit que j’étais trop petit pour jouer avec lui. Je commençais à en avoir vraiment assez qu’on me dise que j’étais trop petit !

Pendant ce temps, mon papa et ma maman tournaient toujours chacun de leur côté. Alors, j’ai décidé qu’il fallait prendre les choses en main sinon j’allais devenir une graine d’âme ratatinée comme la graine rabougrie d’un petit pois. Que faire ? Comment arrêter leurs tournicotis qui se croisaient mais ne se rencontraient pas ? J’ai appelé Er au secours et on a eu une idée géniale. Comme tous les deux aimaient bien la musique, on a décidé de leur en faire entendre une, en même temps aux deux, pour les prendre au piège et essayer de les faire tourner dans le même sens. Ça devait se passer au bord d’une plage qui s’appelle « la Chambre d’amour » et je me disais que c’était une bonne idée. Mais moi j’avais quand même la pétoche et je fermais les yeux pour ne rien voir. Soudain Er m’a dit : « Regarde, là-bas, là où il y a le concert de musique, ils se croisent, ils se rapprochent, ils vont se voir, oh ! la la ça y est Bébé-farceur, ils tournent dans le même sens et ils se tiennent par la main pour ne plus se lâcher ». J’ai ouvert les yeux et je les ai vus, ils avaient l’air bien contents de s’être retrouvés. Je les ai laissés tranquilles, mais, au bout de quelque temps j’ai décidé de leur envoyer un petit signe comme quoi j’en avais assez de poireauter et comme quoi il me tardait de devenir un grand Bébé-farceur. »

Le papa et la maman avaient le cœur qui battait un peu fort en poursuivant la lecture :

« L’hiver était arrivé sur la terre avec de la neige et j’ai remarqué que ma maman aimait bien les fleurs ; alors je me suis glissé dans une belle jacinthe qui a percé la neige. On sait bien que les garçons naissent dans de gros choux et les filles qui sont coquettes dans des roses, mais on n’avait jamais vu ça ! une jacinthe avec un ventre qui s’est mis à grossir et qui a fait un bébé jacinthe. En plus pour rigoler, j’avais choisi une jacinthe rose et quand ils ont compris que j’allais arriver, ils ont cru que j’allais être une fille avec des robes de poupées !

A ce moment-là ma graine d’âme avec son paquet a vraiment pu s’installer dans le ventre de ma maman avec mon papa à côté. Ouf ! j’étais enfin arrivé ! Aussitôt je me suis senti très bien ! Plus besoin de voir du pays et d’attendre la fin des tournicotis !

Au bout de quelques temps, quand le ventre a commencé à grossir comme celui de la jacinthe, un bonhomme a passé ma maman dans une énorme machine pour essayer de voir dans son ventre et de repérer comment j’étais. Mais moi je voulais encore rigoler et faire des farces, alors j’ai détraqué la machine ! Ce jour-là on n’a pu voir aucun bébé dans le ventre des mamans, le bonhomme était furieux et il s’est mis en colère !

La fois d’après, quand il a voulu encore regarder, je n’ai plus osé détraquer la machine car il avait une grosse voix mais je me suis mis à plat ventre comme ça il ne voyait que mon dos et, les autres fois, j’ai mis ma main devant ma figure pour cacher mon visage. Le bonhomme murmurait en se grattant son crâne sans cheveu : « Hum, hum, voyons voir si ce bébé va se montrer aujourd’hui », et, à cause de mes farces, il devenait tout rouge, bredouillait et ne savait plus quoi dire. Surtout, il voulait savoir si j’étais une fille ou un garçon et moi, pour l’embêter, je cherchais tous les moyens pour cacher mon zizi. C’était très drôle, surtout d’entendre le bonhomme qui rouspétait devant son énorme machine ! J’entendais rire ma maman qui se demandait à quoi j’allais ressembler.

J’étais bien dans son ventre ; il faisait chaud, j’entendais battre son cœur. J’étais comme dans de la soie, c’était très, très doux. J’aimais bien quand elle mettait sa main sur son ventre et qu’elle me caressait et j’aimais bien aussi quand c’était mon papa qui posait sa grosse main et qu’il me parlait en me disant « mon bébé » tout en se collant contre ma maman. Je lui donnais des coups de pied mais je ne sais pas s’il a compris que je sais taper dans un ballon. Er ne m’avait pas dit tout ça, comme on est bien dans le ventre de sa maman ; c’est bizarre ! Lui qui a une mémoire d’éléphant, il a dû oublier ce qu’il faisait quand il y était.

Ce que je préférais, c’est quand ma maman allait dans la mer et qu’elle nageait, on flottait tous les deux, on était légers comme des plumes. Ça me rappelait quand je faisais des glissades avec Nils mais c’était encore mieux d’être avec elle et parfois il ne me tardait plus du tout de sortir de son ventre quand je serai devenu un vrai petit bébé.

Mais, quand la neuvième lune deviendra grosse et ronde comme la jacinthe et comme le ventre de ma maman, je sais qu’il me faudra voir le jour en pointant le bout de mon nez et en poussant avec mes épaules ».

Le papa et la maman ne disaient plus rien du tout et furent un moment perdus dans leurs songes, mais le vol sec de la vieille colombe qui claqua ses ailes dans l’air quand elle quitta le toit de la maison, les tira de leurs pensées. C’était la manière du vieil oiseau de prendre congé après s’être assuré que Bébé-farceur était bien arrivé au pays de Salam.