Jean et la petite danseuse

Un jour je découvris sur l'étagère de mon bureau une petite danseuse. Elle tenait son bras et gémissait... Je la pris, massais son épaule blessée et lui demandai de me raconter ce qui était arrivé.

"Tu sais bien que la nuit les jouets ont une vie qu'ils n'ont pas tant qu'on les traite comme des objets inanimés. Le grand écrivain danois Hans Andersen a raconté l'amour qui avait existé entre le petit soldat de plomb et une ballerine, et toutes les aventures qu'ils traversèrent avant de mourir brûlés dans la cheminée.

Je ne suis pas morte heureusement; mon bras est guéri et je peux danser à nouveau".

Et elle me raconta comment c'était arrivé.

J'avais entendu une voix qui à la la nuit tombée avait criait "à l'aide, à l'aide! Je suis un petit garçon transformé en playmobil et il faut me délivrer".

J'essayai aussitôt de me rapprocher de la voix. Elle venait d'un grand coffre. Après beaucoup d'efforts je parvins à me hisser sur le bord du coffre et manquai m'évanouir. Un dragon noir crachant du feu rouge et jaune m'empêcha de descendre en battant ses grandes ailes. Il était effrayant. Une fois qu'il n'eut plus de feu dans sa poitrine, je l'interrogeai sur cette voix du coffre qui demandait de l'aide. "Ah oui me dit-il. Tu parles de Jean transformé en playmobil?

Je lui ai jeté un sort car il apportait trop de bonheur autour de lui. Moi qui suis un dragon malheureux je n'ai pas pu supporter de voir la gentillesse de ce petit garçon qui avait plein d'amis alors que je suis tout seul. Son seul défaut est qu'il fumait des cigarettes en chocolat. Alors, je l'ai piégé, j'ai mis dans la cigarette une potion pour l'endormir, je l'ai transformé en playmobil et je l'ai jeté dans le coffre à jouets". Puis recrachant du feu, il déclara, "pour le délivrer de son sort il faudra qu'une jeune fille arrive à aller le chercher dans ce coffre et affronte beaucoup de dangers".

Ses paroles me glacèrent d'effroi et je compris que la jeune fille c'était moi. J'ai attendu les nuits suivantes pour parler avec ce playmobil. Sa voix commençait à me plaire et je me laissai conquérir par cette gentillesse pour laquelle il était puni. Je lui ai proposé mon aide mais il a pensé que j'étais trop fragile et que je ne pourrai combattre le dragon toute seule.

Nous envisageâmes plusieurs solutions: endormir le dragon, renverser le coffre etc... mais aucune n'était réalisable. Nous étions tristes et dans notre tristesse nous commencions à nous dire des choses vraiment gentilles. Ce que j'aimais par dessus tout c'était son expression à la fin de toutes mes phrases "d'accord". Ce "d'accord" tel qu'il le prononçait avec sérieux, sonnait comme deux petits coups de baguette sur un tambour, et me transportait d'aise. Je comprenais pourquoi le dragon était si jaloux de lui.

Une nuit alors que nous discutions, il imita les animaux et le miaulement rauque et plaintif du chat me révéla sa sensibilité. Il me posait des questions sur moi-même, sur la danse etc et il me déclara " j'aimerais te voir danser...moi je joue au foot avec mon papa et mes frères et je gagne toujours". Une autre nuit je découvris sa gourmandise quand il me demanda de lui apporter des cigarettes en chocolat "tu sais c'est ma cousine Joséphine qui m'a appris à fumer les cigarettes" et je compris comment le dragon l'avait piégé.

Nous étions découragés et restions tristement assis l'un contre l'autre avec le coffre entre nous. Il m'attendait et j'avais hâte toutes les nuits de m'asseoir contre le coffre. Nous ne connaissions que nos voix et nous nous étions apprivoisés.

Un jour il me dit " j'ai essayé d'attaquer le dragon avec une épée de playmobil mais le coffre est trop haut, il faut trouver des amis pour nous aider. J'en connais, ils s'appellent Miniloup, Ane Trotro, Peppa Pig et Petit Ours brun. Pars à leur recherche et nous arriverons à vaincre cet horrible dragon".

Je le quittai et partis à l'aventure pour rencontrer les amis de mon pauvre playmobil. Je les trouvai à la bibliothèque et parvins à les convaincre d'être tous ensemble plus forts que le dragon.

Encore fallait-il ourdir un plan!

Miniloup s'imposa comme chef. Toi Danseuse tu parleras au dragon en attirant son attention vers le côté gauche du coffre, toi Ane Trotro tu te colleras du côté droit, Ours brun grimpera sur ton dos, Peppa pig sur le dos de Ours brun et moi sur les épaules de Peppa pig et je pousserai un cri Ouh qui fera tomber le dragon. On sait que quand un dragon est au sol, il a du mal à se relever. Alors nous sauterons dans le coffre et remonterons notre ami Jean en refaisant l'échelle.

Le plan se déroula à merveille sauf que le dragon était tombé sur la danseuse et la maintenait prisonnière. Jean se retourna, vit son amie qui se débattait et entendit le dragon qui menaçait de la jeter dans le coffre. Alors sans hésiter il n'écouta que son coeur qui lui dit " tu ne peux abandonner celle qui t'a tenu compagnie dans ta captivité et qui t'a sauvée, va la chercher".

Jean était minuscule devant le dragon mais il gonfla sa poitrine, se souvint de sa petite épée et la planta dans le petit orteil du dragon. Celui-ci se tordit de douleur. Puis Ane Trotro le mordit, Ours brun le griffa, Peppa Pig lui fourra son groin dans la figure et Miniloup continua à pousser des ouh effrayants. Occupé par tous ces attaquants, le dragon ne vit pas que Jean avait pris la main de la danseuse et la tirait vers lui. Celle-ci poussa un cri de souffrance mais tint fermement la main de son sauveur. Ouf! Elle était libérée!

Dès qu'il fut délivré du dragon, Jean remercia tous ses amis et arriva ce qui devait arriver, mais auparavant il dit à la danseuse " s'il te plaît mon amie danse pour moi". Alors la ballerine, malgré son bras qui la faisait souffrir, esquissa quelques pas avec toute la grâce dont elle était capable sur un air de musique qu'eux seuls purent entendre. Jean sentait déjà que son habit de playmobil craquait et allait tomber. Il aurait voulu arrêter le temps mais on entendit du bruit, il reprit sa taille et redevint un joli petit garçon.

La danseuse comprit que son histoire d'amour ne pourrait pas continuer quand Jean la prit dans sa main potelée; elle s'y sentit si petite, si minuscule! Le coeur de Jean se remplit de tristesse aussi. Que faire? Il lui dit "je vais t'emmener chez Nana, une vieille femme que je connais bien. Elle te gardera au chaud au milieu de tous ses objets fétiches et elle te parlera. Tu verras, tu y seras bien et je viendrai te voir souvent. D'accord?".

La petite danseuse avait les yeux qui brillaient comme des éclats quand elle me raconta comment ils avaient sorti Jean du coffre et comment ils s'étaient quittés. Jean resta fidèle très longtemps à la petite danseuse et aucun des deux n'oublia l'autre.

Alors la nuit je me lève parfois et éclairée par la lune qui se faufile entre les nuages, je vois la jolie ballerine qui danse au son d'une musique puis s'arrête de tourner et reprend sa place sur l'étagère de mon bureau.