Tunisie 1996 : au jardin de Dar Henson

Visiter la maison Henson, Dar Henson comme disent les hammamétois, était un désir profond, souvent rêvé, depuis que j’avais lu ce qu’en avaient dit Michel Tournier, Gabriel Matzneff et Jean Duvignaud. Ils racontaient l’existence d’une maison d’intellectuels européens, américain, Jean et Violet Henson, tombés littéralement amoureux du village au fond du golfe, des gens, des choses antiques, et de ces vergers généreux remplis d’ombre et de soleil que les tunisiens entretiennent avec un soin tout particulier. Une maison et un jardin dont l’accueil était universellement apprécié par les artistes et penseurs d’entre les deux guerres et, qui avaient pour rivale la Villa Sebastian devenue depuis l’indépendance de la Tunisie, le Centre culturel d’Hammamet. Lors de mon premier voyage en avril 1989, j’avais pu seulement situer Dar Henson noyée au milieu de nombreux vergers. C’était la maison-mystère. Puis j’ai lu le livre de Catherine Hermary-Vielle, le Jardin des Henderson, roman inspiré de la vie des Henson. Mon désir ne faisait qu’augmenter et je me promettais lors de mon voyage à Hammamet en octobre 1990 de dénicher cette maison. Mon ami hammamétois Fethi s’était plus assidûment renseigné et avait repéré le portail de la maison. Dès le lundi de mon arrivée j’essayai de voir ce qui se cachait derrière ce portail hypothétique.

Le mercredi, je sonnais hardiment à l’entrée, un vieux jardinier me laissa espérer une visite mais, aussitôt arriva un majordome tout de blanc vêtu, qui avec beaucoup de courtoisie et de fermeté me dissuada d’entrer. Entre temps j’enquêtais et, guidée par Fethi j’appris que la maison appartenait à présent à Leïla Menchari, héritière spirituelle et de fait des Henson, et connue en tant que responsable des célèbres vitrines de chez Hermès à Paris. Pour me consoler, Fethi me proposa de lorgner le jardin Henson en passant par la villa Sebastian. C’était la tombée de la nuit. Je n’ai pu que voir et photographier une colonne antique et j’ai essayé de deviner l’âme de ce jardin…mais tout était bien loin dans le temps et dans l’espace.

Le samedi alors que j’étais allée à la plage, je longeai le littoral, secrètement guidée par le pressentiment d’un événement. Je n’avais aucun repère et je m’approchai d’un jardin qui s’échouait sur le sable, au milieu des oyats et des boules piquantes qui se collent au pied.

Je pénétrai dans la végétation et j’eus la nette impression que j’y étais : devant moi un pressoir à huile romain, l’ordre des plantation, un bassin surplombé. Je grimpai sur la dernière dune. Heureux augure et signe de la sauvagerie du lieu, un vol de perdrix dérangées par mes pas, s’éleva, pesant mais assuré. Un beau bassin entouré de colonnes brisées apparut. J’étais aimantée mais, respectant la propriété privée, je repartis en méditant sur la vision prometteuse que j’avais eue du jardin.

C’est alors que dans la rue, je croisai le majordome non plus habillé de blanc, mais comme tout un chacun. Nous nous sommes salués et il me proposa de rentrer dans Dar Henson. Nous remontâmes une allée, et nous tournâmes à droite. La maison endormie se dressa : porte en bois naturel, bancs adossés aux murs recouverts de carreaux noirs et blancs et entourant des escaliers en marbre immaculé. En face, un long bassin prolongé par une tonnelle élégante, mélange de kouba et de temple antique. Neuf paons se promenaient indifférents.

Mon guide m’entraîna vers l’allée qui va jusqu’à la mer, bordée de colonnes, de chapiteaux, de pressoirs. L’apothéose fut la découverte de la roue solaire punique reflétant l’histoire glorieuse du pays et se reflétant à présent intemporellement dans l’eau, devant les nénuphars bleus du Nil.

Je vivais un instant fécond, unique et cette unicité m’habita totalement en cet instant, sentiment fort rare. En revenant vers la maison, mon guide me conduisit vers les tombes de Jean et Violet Henson.

Pour stèles, des pierres antiques avec comme inscription son nom pour elle et seulement ses dates pour lui. Je me recueillis dans les rites de ma religion, nous étions à la Toussaint.

Les roses poussent sauvagement dans le jardin de Violet et la vieille R8 bleue de Jean ne sort plus du garage. Je ne suis pas rentrée dans la villa et j’ai quitté ce lieu exceptionnel, inscrivant Dar Henson au nombre de ces maisons qui, avec leurs jardins, gardent très longtemps l’empreinte du rêve réalisé et de l’art de vivre de ceux qui ont habité là.