Le Salon du livre et de l’édition à Casablanca 2012

Etre invité à Casablanca au Salon international du livre et de l’édition qui se tient sous la protection de la Grande mosquée HassanII, est un honneur, une reconnaissance pour le travail littéraire accompli, si modeste soit-il. J’avais le souvenir du Salon de 2010 et des rencontres éblouissantes avec Abdellatif Laâbi, Abdelwahab Meddeb, Colette Fellous, Jémia Le Clézio, etc…j’avais le souvenir aussi d’un public très cultivé et avide d’idées, de lectures.

Partage d'écritures féminines à la foire de Casablanca

Néanmoins l’ego de tout invité se retranche rapidement car l’arrivée au Salon est un plongeon pour quelques jours dans le concentré d’une ville, en l’occurrence Casablanca. C’est ma ville natale dont l’énergie est la caractéristique première. Depuis l’Exposition universelle de 1992 à Séville, j’avais compris que ce genre de manifestation est une vitrine où un pays, une ville, un organisme exposent le meilleur d’eux-mêmes à travers l’ensemble de la manifestation ou à travers un stand. Les parties dans le tout mais le tout disséminé entre les parties et le public, l’énergie casablancaise irriguant le tout et les parties.

Commençons par les parties de l’exposition, c’est-à-dire les stands. La visibilité de chacun reflète l’intention des exposants. Celui du Centre de la Communauté des Marocains à l’Etranger, d’emblée, annonce les échanges, le débat, les exigences intellectuelles, la convivialité, autant de facteurs pour entendre des idées, des réflexions qui confortent, déconcertent, ouvrent des brèches, permettent d’avancer.

Les trois points de discussion du temps de mon passage ont été le printemps arabe, la question de l’identité et l’éventualité d’une écriture au féminin. Le printemps arabe dont je comprends à présent qu’il vaut mieux dire le Printemps des arabes a été abordé en profondeur et en vérité, dans la gravité et même dans l’inquiétude.

Le film du tunisien Mourad Ben Cheikh « Plus jamais peur » a rafraîchi la chronologie des événements en Tunisie en suivant le fil rouge de la peur de tout et de tous trop longtemps contenue durant le temps de la dictature et de sa dissipation au fur et à mesure que la confiance des relations revenait.

Le problème de l’identité, si typiquement français en ce moment, a été comme réanimé, comme réensemencé par le souffle éthique, imprégné d’humanité et totalement hors idéologie de Sanbar et l’œil brillant, parfois cinglant mais soucieux d’honnêteté de Plenel. Le modérateur Ali Benmakhlouf a d’emblée hissé le niveau de la discussion dans les hautes sphères de la réflexion.

Quant au thème de l’écriture au féminin auquel j’ai participé, j’ai regretté qu’il l’ait été si superficiellement ; il y a là un vrai débat qui a manqué de références et d’analyses ; on ne peut se contenter d’impressions non fondées.

L’autre stand ayant attiré mon attention est celui du pays invité, l’Arabie qui, comme pour le stand de Séville insistait sur la foi et le désert avec en supplément la fortification et le déploiement de la profusion des moyens. Et puis j’ai flâné et j’ai glané quelques imprévus heureux, la rencontre généreuse avec le peintre-écrivain Mahi Binebine qui donne ses dédicaces à travers des dessins, les retrouvailles avec Elias Sanbar connu cet été lors des Rencontres littéraires de l’Aubrac.

Sur le programme j’avais lu les noms d’autres personnes que j’aurais eu plaisir à connaître comme tata Milouda si la durée de mon séjour l’avait permis, mais le don d’ubiquité me fait défaut. Tout auteur ou artiste est en premier lieu accessible par ses œuvres et par les media, le Salon permet une rencontre charnelle qui est comme un supplément, une faveur, même quand on est intimidé devant celui ou celle qu’on a rêvé de connaître !

La part d’ombre de mon expérience du Salon reste le regret de ne pas être plus arabophone (ma langue arabe étant restée celle de la maison, de la ferme, de l’affectif et de l’enfance). Possédant la langue, j’aurais pu mieux comprendre pourquoi un public casablancais moderne, autre que le public francophone, vient en famille voir et acheter des livres et se presse en foule. J’aurais pu découvrir les centres d’intérêt, les goûts chez les enfants, les femmes et les hommes. J’aurais pu mettre des mots sur ce public qui malgré la disparité des tenues vestimentaires, évolue au milieu des livres dans la tolérance et l’élégance des comportements. Une mise en œuvre de moyens de la part du Salon pour favoriser la traduction permettrait de diminuer cet obstacle des langues.

Craignant l’essentialisme, je conclurai en évoquant le légendaire accueil abrahamique des marocains ; je rajoute pour l’avoir expérimenté à travers des voyages qui en six mois m’ont menée de Beyrouth à Tunis et à Casablanca qu’en 2012, si on peut espérer qu’il y a encore un creuset intellectuel et artistique dans lequel l’homme se renouvelle et garde confiance en lui, l’humanisme est arabe. Qu’il le soit durablement !

La 18e édition du Salon International de l’Edition et du Livre (SIEL), à Casablanca, s'est déroulé du 9 au 19 février 2012.