Le Maroc 2011

Le Maroc est mon pays et mes amis marocains du plus riche au plus pauvre m'assurent à chaque fois de cet accueil abrahamique comme les trois visiteurs sous le chêne de Membré. Comment était le printemps au Maroc alors que je venais y présenter dans une librairie de Casablanca le livre écrit sur ma grand-mère pionnière, celle qui avait une ferme, vaste, où l'horizon reculait sans cesse et où j'ai grandi? Le printemps était généreux c'est-à-dire pluvieux, une bénédiction de Dieu disent les Marocains.

Notre ferme, bien qu'elle ait été reprise par l'Etat marocain et ne nous appartienne plus, se situe au bout d'une route de cent kilomètres qui part de Casablanca. Jamais aucun touriste ne l'emprunte. Et j'ai envie de dire heureusement! Car cette route est la route sacrée du bled avec ses nids de poule, ses bas-côtés inexistants, ses plastiques qui s'accrochent au moindre buisson mais avec ses paysages édéniques de début du temps quand un étang se forme et que le paysan et sa famille qui vivent là, vaquent à leurs occupations quotidiennes. On appelle ces étangs des dahias et notre route qui menait à la ferme était la route des dahias...

Oui le printemps était généreux en mars de cette année. Néanmoins l'électricité promise par Mohamed 6 au début de son règne avait atteint la moindre masure et les antennes de télévision à travers les chaînes Al Arabia et Al Jazeera montraient que le printemps en mars c'était aussi des images de révolution et surtout de révolte, des slogans, qui couraient sur le nord de l'Afrique.

Les Marocains sont fondamentalement stoïques et pudiques; ils ne livrent leurs pensées que dans un climat de confiance réellement établie. Je me demandais s'ils éprouveraient le besoin de parler des évènements des manifestants du 20 février, des soubresauts qu'ils vivaient entre libération et incarcération des principaux acteurs. L'ambiance était légèrement électrifiée dès l'atterrissage puisque les cris de revendications sociales nous attendaient à l'aéroport.

Pour décrire le climat politique j'ai choisi d'ajouter un avis bien particulier à quelques remarques emblématiques. Alors que la fille de ma nounou me rejoignait à Casablanca pour la présentation du livre, elle me confia "on est content que les choses bougent car il y a trop de riches et de pauvres, il y a le chômage des jeunes mais on a peur que les choses tournent mal et on préférerait que le mouvement s'arrête plutôt que de basculer dans le chaos".

Un marchand de fleurs pendant qu'il préparait mon bouquet me dit: et Ben Laden, que penses-tu de sa mort? Je rétorquai et toi? Je sentis dans ses propos un mélange de soulagement pour la seconde mort du personnage, la première étant celle de l'ignorance dans laquelle l'ont laissé les printemps arabes, mais aussi de consternation humiliée devant les rites d'inhumation affectés à son corps.

Quant à l'avis bien particulier je l'ai trouvé au monastère de Tazzert. Pour m'y rendre, je devais passer par Marrakech et je fus attendrie devant le café Argana où les bombes avaient explosé, par les fleurs accrochées aux barrières qui ceignaient le lieu. Sur la place Djema el Fnaa on parlait aussi le langage des fleurs quand on a de la peine. Le monastère de Tazzert est un petit Tibhirine. Comparaison n'est pas raison mais j'ose l'analogie car elle permet de comprendre ce qu'est une vie religieuse de rite melkite essentiellement fondée sur la prière en arabe et le partage du quotidien avec le village, entre la coopérative des brodeuses, les papiers à remplir pour les administrations, la prise en charge d'une petite fille brûlée gravement alors qu'elle avait 3 mois et qu'elle en a 12 à présent et l'accueil là encore abrahamique.

Les lieux baignaient dans la beauté simple de la terre ocre, des paysages environnants, dans le calme que seul troublait l'impertinent coucou quand, une religieuse me déclara: l'attentat de Marrakech ne nous a pas étonnées, nous nous y attendions. Nous sommes d'accord avec le tourisme mais un seuil de tolérance a été dépassé! Puis les cris du coucou recouvrirent cet avis empreint de sagesse.