Récit d'une enfance à Casablanca

Quand il produit le récit des autres, mon travail porte ses fruits. Le récit le Fusil avait permis ce décentrement souhaité par rapport à ce que je cherche sur la route du Pays arabe. Ici dans le Récit d'une enfance à Casablanca, Najat Oudades qui vit à présent au Canada, raconte avec fraîcheur ses années d'écolière et de collégienne, et exprime une nostalgie significative de la tolérance conviviale qui était l'esprit de Casablanca depuis ses origines.

L’écriture ce n'est pas mon métier, mais j’aimerais partager avec vous ces si beaux moments que j’ai passés avec les bonnes sœurs du Mâarif lorsque j’étais élève chez elles.

Ces beaux souvenirs resteront gravés à jamais au fond de mon esprit et d’autres qu’il va falloir chercher….. Alors, j’écris à la lumière de mes souvenirs et de mes émotions passées. Suivez-moi dans mon monde d’antan …..

En attendant de vous faire participer à mes souvenirs lointains : le sourire aux lèvres…, donnez-moi un moment pour les remémorer et vous les raconter…

Avec le temps, ce sont nos joies d'enfants que nous évoquons le plus facilement dans nos souvenirs, elles nous accompagnent avec une rare fidélité.

Retrouver ce que nous avons éprouvé dans ces moments demeure une source de félicité que nul ne pourra nous ravir.

Le cours de nos vies est semé de pierres qui nous font trébucher, et de certitudes qui s'amenuisent.

Nous ne possédons que l'amour qui nous a été donné, et jamais repris...

Je suis né dans ce pays, le Maroc, j'y ai grandi, évolué et depuis toujours ai toujours aimé ce pays.

Et tout ce qui m'entoura depuis mon plus jeune âge, nos coreligionnaires de toutes races et religions, ma culture, mes traditions, notre histoire, ont participé à cet éveil de sens chez moi.

J'ai toujours grandi au sein de ma communauté, mais également très proche de mes amis (es) chrétiens ou juifs nés dans ce beau pays. Je n'ai jamais fait de différence et n'en fais toujours pas aujourd'hui entre juifs, chrétiens ou autres. J'espère que nos enfants qui n'ont pas vécu la même vie que nous, qui sommes de la génération de deux cultures (orientale et occidentale,) sauront garder comme un trésor et transmettre ce précieux patrimoine qu'est la tradition culinaire maroco-judéo-chrétio dont j’ai eu la chance d'hériter. Un grand héritage que cette tradition faite de rites religieux, de gestes, d'odeurs et de couleurs! Elle est une partie intégrée de ceux qui ont eu la chance de l'apprendre, de l'observer et de l'apprécier, elle épate et ravit ceux qui l'ignorent et passionne ceux qui ne sont encore que des apprentis; ces derniers, espérons-le s'en imprègneront pour la répéter et la prolonger, ainsi en sera-t-il peut-être jusqu'à l'éternité.

Je suis heureuse et triste à la fois.

Je suis nostalgique.

Heureuse d'avoir vécu tant de belles choses dans mon pays natal entourée de mes bonnes sœurs aux cœurs doux.

Je me dis c'est bien dommage que la génération d’aujourd’hui ne sache rien sur la vie qu’ont menée ces bonnes sœurs et la mission qu’elles ont accomplie au Maroc.

C'était une belle époque, innocente, et les liens communautaires se mélangeaient aux liens d'amitié pure et de fraternité entre voisins, entre amis intimes....nous étions alors une grande famille.

Casablanca est la ville économique du Maroc, certes. Mais je l’avoue que ses habitants ont joué un rôle important comme intervenants entre les cultures occidentales et marocaine dont je suis issue.

Les bonnes sœurs dans mon temps occupaient des postes d’enseignantes dans des écoles ouvertement catholiques. Créées par la confrérie franciscaine pour accompagner l’installation du protectorat français, elles ouvraient leurs portes exclusivement aux enfants de colons.

Mais l’indépendance du royaume marque un tournant radical, avec le retour progressif des Européens vers le Vieux continent et, avec eux, une bonne partie des religieuses. Quant aux établissements, ils se défont de leur statut religieux et se transforment, tant bien que mal, en structures classiques d’enseignement. Elles ont 100 siècles de présence au Maroc nos bonnes chères soeurs chrétiennes.

Ces sœurs n’ont jamais hésité à aider l’autre quand il avait besoin d’elles. Elles n’ont jamais eu l'impression de servir des étrangers, ``on fait partie de ce pays et on ne se sent jamais considérées étrangères``, disaient-elles souvent.

Je me souviens bien d’elles avec leurs long “hijab” ou longues robes, elles faisaient le tour de la cour de mon école Institution de la Présentation pour surveiller la moindre anomalie que quelques filles indisciplinées effectuaient et la voix douce de Sœur Henriette qui sonne encore dans mes oreilles, leur disait gentiment et avec une douceur incroyable de regagner leurs camarades pour rentrer en classe, car l’heure de récréation était finie.

Photo de classe - École Institution de la Présentation année 1970.

Sœur DOMINICA en robe longue et foulard noir.

Je me situe la 2ème à partir de la gauche au 2ème rang.

Je dois beaucoup aux sœurs dans mon parcours professionnel et éducatif ; en cela je leur serai toujours reconnaissante. Elles ne jugent personne, et se contentent de comprendre et d'agir”. Faisant preuve de discipline et de rigueur dans leur travail, ces sœurs ont des qualités très rares.

Je me rappelle que juste en face de mon école, il y avait le dispensaire (Goutte de lait) où les sœurs montraient beaucoup d’intérêt à prendre soin des sections les plus sensibles, où se trouvaient des patients atteints de maladies contagieuses. Sans oublier le service de pédiatrie.

Le sacrifice était leur slogan et leur seul but était de rendre service aux patients et aux enfants défavorisés, peu importe les obstacles qui ne limitaient point leur courage, et leur rigueur car, derrière tout cela, il y avait beaucoup d’amour. Elles étaient très heureuses en se consacrant à soigner les gens, elles étaient même les plus heureuses à montrer aux autres comment on peut vivre chacun avec sa religion dans une atmosphère empreinte de tolérance et de dialogue chrétien-musulman.”

Un peu d’histoire

En 1912, huit mois après la proclamation du protectorat, huit sœurs se sont installées au Maroc, pays qu'elles ne quitteront plus. En 100 ans de présence en terre marocaine, leur œuvre, sociale et médicale, est empreinte d'intégration, de dévouement et d'abnégation. A tel point qu'aujourd'hui encore bien des marocains gardent un souvenir impérissable et une reconnaissance sans faille envers ces religieuses affectueusement surnommées "err'hibates". En octobre dernier, on célébrait le centenaire de la présence des sœurs religieuses au Maroc. A cette occasion, différentes manifestations furent organisées à Casablanca et s'étaleront jusqu'en 2012 sur l'ensemble du territoire national.

Un peu sur leur biographie

Sœur Dominica

Forte de caractère, d’une énergie incomparable et d’une discipline incroyable, elle entendait bien poursuivre sa mission et donner l’exemple aux plus jeunes religieuses de l’école. Elle ne pensait guère à accéder à un poste supérieur, ou à un poste de responsabilité. Pour elle, il s’agissait bien d’aider les autres, sentir de la joie en compagnie de ses élèves et rendre un service sans contrepartie. Sœur Dominica est décédée et enterrée à Casablanca, elle disait que Casablanca c’est sa ville préférée et qu’elle y restera jusqu’à la fin de sa vie. Car nous disait-elle, elle a vécu une expérience humaine à Casablanca qui lui a complètement changé sa vie.

Sœur Bernadette

Elle son hobby c’était d’organiser les excursions pour les élèves, ainsi que des ateliers d’apprentissage de couture, de musique et de tissage. Ce que j’admirai chez ma sœur Bernadette c'est l'immense amour qui l'habitait et lui permettait de se laisser envahir par la générosité qui faisait partie intégrante d’elle. Humble, patiente et douce, ces vertus nous révélaient la ferveur de son coeur.  Douée d'une grande sensibilité elle devinait tous nos désirs.  Semer de la joie fut le secret de sa générosité !  On n'oubliera jamais les délicieux moments, où se présentant devant nos parents avec son plus beau sourire elle avait à offrir une belle kermesse que nous les élèves avions préparées. Une sœur performante tout bonnement, je ne peux compter le nombre de ces plaisirs procurés à mes camarades de classe et moi-même.  Franchement, de bons moments que je n’oublierai jamais.

Sœur Henriette

Âme candide et cœur généreux, elle allait droit, son chemin vers le « Bon Dieu » comme elle a aimé le répéter, son chapelet tout le temps entourant sa main. La simplicité, écrit un auteur, c’est la capacité d’accueillir le quotidien et d’inventer sa vie, jour après jour, dans le sillage de Dieu. C’est ainsi que sœur Henriette a vécu; elle communiquait candidement avec chacune des élèves et recherchait la compréhension et l’amour. Son amitié se reflétait dans ses yeux. Si l’on s’attardait devant son regard, on avait droit à un franc sourire simple et radieux. Sœur Henriette aimait le beau, aimait à être bien mise et ce, même jusqu’à la coquetterie. La propreté était sa règle d’or et pour elle, s’écrivait en lettres majuscules.

Aujourd’hui encore, les sœurs dont le nombre rétrécit de façon irréversible, continuent à aider les femmes et les enfants démunis au Maroc. Voir le texte un îlot à Casablanca.