Les cigognes
Les oiseaux de la Chaouïa que j’aime le plus sont les cigognes. Elles arrivent en automne et s’installent jusqu'au début de l’été. Certaines retrouvent leurs énormes nids faits de brindilles et de branchages. Les nouveaux couples cherchent toujours l’endroit le plus élevé, une meule de paille ou un château d’eau, en tournoyant longtemps dans le ciel avant de faire leur choix. Dans notre ferme, elles avaient choisi le faîte du toit pentu de la maison, et aussi un arbre du jardin qui avait trois branches bien écartées pour accueillir le nid.
Dans la journée les cigognes partent pêcher dans les dahias et les oueds. Elles s’y rassemblent, perchées sur un pied pour de longs conciliabules ; puis elles reviennent vers le nid dans de grands vols qui font des courbes dans le ciel. Elles régurgitent alors une partie de leur pêche dans le bec des cigogneaux affamés. Pour exprimer leur satisfaction, les cigognes claquent du bec dans un rythme trépidant qui va crescendo jusqu'à son apogée, puis elles rejettent leur tête en arrière avec un mouvement sec de leur long cou.
Je connais bien les cigognes. Quand j’étais enfant, je suis restée des après-midi entiers à les regarder. A côté de l’arbre aux trois branches, il y avait un autre arbre où je pouvais grimper, et d’où je pouvais les observer sans qu’elles se sentissent menacées. J’étais une petite fille, mais je sentais bien en voyant les œufs, puis les cigogneaux gris, hideux et malhabiles avant de devenir les grands oiseaux blancs, que j’étais proche du secret de la vie.
Le moment le plus majestueux dans la vie des cigognes, se situe au crépuscule quand elles se regroupent au bord d’un oued ou d’une dahia, dans le rougeoiement du ciel. Émerveillée par l’alliance entre la beauté grandiose des reflets du ciel et des nuages dans l’eau, et le rassemblement majestueux des cigognes, je me suis arrêtée de plus en plus longuement au cours de mes errances. Ma prière a appris à rendre grâce de tant d’harmonie sur cette terre bénie… Mais le chant mélancolique de la petite Zahra qui ramène l’âne au douar, est la note la plus pure de cette action de grâce.
Les cigognes semblent dédaigneuses et absentes de ce moment d’éternité, mais en réalité elles aiment la méditation et la liberté.
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